Patrice, niçois de 39 ans, ne pensait se lancer sur les routes de Compostelle qu’au printemps. Mais cet ancien militaire reconverti en praticien MVI et médecine holistique a ressenti l’appel irrésistible et sacré du Chemin. Sportif et amoureux de montagne, il a relevé le défi malgré des conditions extrêmes. Il répond à nos questions.
Pourquoi êtes-vous parti sur le Chemin de Compostelle en cette saison ?
« Je suis parti sur un coup de tête ! J’étais sensé le faire avec des amis au printemps. Après une année très compliquée et en pleine introspection, le chemin m’a appelé, là et maintenant. Comme une manière de finaliser mes remises en question de cette année écoulée. Je suis parti dans l’idée de faire Puy en Velay/Nasbinals dans des conditions très difficiles. Finalement je me suis arrêté à Aumont-Aubrac, appelé deux jours avant à redescendre sur Nice pour raisons professionnelles. J’ai donc fait quatre jours de marche en quatre étapes: Le Puy-en-Velay / Saint-Privat-d-Allier / Saugues / Saint-Alban / Aumont Aubrac.
Quel était votre rythme dans ces conditions ?
Je partais le matin entre 7 h et 8 h pour attendre un peu de jour puis marchais sans pause ni repas jusqu’à la fin de l’étape pour éviter la nuit. Vu la difficulté du terrain et la signalisation recouverte de neige, je me suis parfois rallongé le parcours, donc je rattrapais le temps en accélérant, voire en courant sur les tronçons goudronnés. Donc pour la durée de marche journalière, je dirais entre 6h et 8 h de marche sans pauses ».
Avez-vous rencontré d’autres pèlerins ?
« Strictement aucun ! J’ai même rarement croisé des habitants sortant de chez eux. La nature était en hibernation, et même pratiquement aucun oiseau. La solitude totale sur le chemin et un silence absolu. Une pèlerine, à Saint Alban pour les fêtes, m’a contacté sur place pour boire un café et discuter et m’a accompagné au cours d’une heure de marche amicale pour ma dernière étape.Beaucoup d’échanges avec de belles personnes par mes publications sur Facebook et la page de Compostelle.
Et je tiens cependant à parler de Gérard, un habitant de Saugues qui, malgré son peu de moyens, donne sans compter. Sans lui, je dormais dehors ! Un homme, qui malgré sa situation modeste ouvre sa porte aux pèlerins sans attendre rien en retour. Un homme de foi et de grand bien. Une personne comme on en fait peu ».
Quel équipement aviez-vous prévu ?
« J’ai préparé mon sac comme un militaire qui partirait en mission. Donc, un sac de 20 kg ! Bien sûr, je le déconseille ! Mon sac était composé d’un maximum de changes, duvet, un rappel de vingt mètres avec mousquetons, une ficelle armée étanche, une scie, un couteau de chasse, une bâche de jardin, des briquets, un chargeur de téléphone externe, une bombe de peinture, une boussole, une carte, des barres protéinées, des raquettes de neige, du matériel premier secours, des bâtons de marche télescopiques, Bas et haut Kway, trois litres d’eau….et mes Salomon de trail que je chaussais si je devais courir ou accélérer sur trois ou quatre kilomètres. Personnellement, il me fallait tout ce matériel. D’autres diront que c’est du n’importe quoi. Pour ma part, je sais ce qu’apporte un sac bien rempli quand on se retrouve dans la »panade ». Au printemps un sac de 6 ou 7 kg me suffira ».
Le meilleur souvenir que vous garderez de cette expérience ?
« Juste cette sensation d’enfin se retrouver. C’est très dur dans notre société de se séparer de notre ego et d’être en présence et conscience. Là, c’était le cas. Les énergies et les conditions étant là. Le ressenti Sacré de ce Chemin foulé depuis des siècles par des pèlerins en quête de foi, d’introspection, en quête de leur Mission, de rétablissement ou de guérison… Du coup, en y réfléchissant, le moment le plus fort était au troisième jour en plein milieu du trajet. Je ne savais pas si j’étais sur le Chemin, la neige et le vent s’abattaient sur moi et j’ai mis les deux genoux à terre. Et là, je hurle: « Mais p*****, qu’est-ce que tu es venu faire ici !? » Et là, j’ai eu la réponse au fond de moi… J’ai retrouvé mon chemin et j’ai foncé ».
Comment se sent-on en fin de journée ?
« Bizarrement, le sac et les jambes sont lourds mais on se sent plus léger. La fatigue et la solitude ayant aidé durant le parcours, on ne pense plus. Le passé est derrière et le futur n’existe pas, on est là! On est content d’être arrivé, prendre une douche ou boire un café mais une heure après, on a déjà envie d’y retourner. Physiquement c’est à mon avis largement surmontable. Mais mentalement, spirituellement, il y a un gros travail qui s’effectue et c’est éprouvant. On se sent vidé (du superflu) ».
Un conseil pour les pèlerins qui marcheraient en hiver sous la neige ?
« A faire ! Bien s’équiper. Un minimum de physique et de mental. Ne pas s’arrêter par peur des conditions, mais juste en être conscient et s’adapter. Si on n’a pas l’habitude, le faire en duo ou en groupe. Mais surtout ne pas se laisser limiter par les craintes. Utiliser le matériel, apprendre les règles de base en montagne, avoir toujours un moyen de communication et surtout de quoi se changer. Le plus important est surtout de ne pas rester mouillé. Si on se retrouve trempé, bloqué avec une chute de température, là il y a danger. Sinon à mon sens, tout le monde peut marcher sous la neige ».
Est-ce votre première expérience sur le chemin de Compostelle ?
« Telle que celle-ci, oui ! J’ai déjà fait des tronçons de quelques heures le weekend, en ballade avec des amis. Rien à voir avec cette expérience. Chaque chose que l’on fait est différente selon le sens qu’on lui donne ».
Un petit mot à partager pour finir ?
« Après certaines discussions que j’ai eues depuis mon retour, j’aimerais juste partager ma vision des choses. Mon chemin personnel lors de ces jours passés sur le Chemin la définit très bien. Les seuls blocages, peurs, pensées négatives qui peuvent nous empêcher d’avancer sont celles que nous nous fabriquons. Pour moi le Mal est là, par notre ego qui nous mène par le bout du nez, nous limite dans nos vies, nous fait faire les mauvais choix, nous empêche d’être nous-même et en présence. Si Dieu est en nous et autour de nous, redevenir nous-même, parait indispensable. Le seul fardeau est celui que l’on décide de porter. Donc faire Compostelle, le tour du monde, réussir dans la vie, aimer sans conditions et sans craintes, tout est faisable en se débarrassant de certaines pensées et en étant juste en conscience. Merci ! Ultreïa ! »